Bien
qu’elle ne soit pas la seule explication du conflit russo-géorgien, la
dimension énergétique y entre pour une large part et dépasse le simple
cadre caucasien.
Pour réduire sa dépendance à l’égard du gaz russe, l’Europe projette
depuis plusieurs années la construction d’un gazoduc entre la mer
Caspienne et les Balkans, acheminant le gaz d’Azerbaïdjan et d’Asie
Centrale. Cette nouvelle infrastructure dénommée Nabucco, transitant
par la Turquie et s’arrêtant aujourd’hui à Erzerum, dans l’est de ce
pays, constitue pour les Russes un chiffon rouge. Si les Européens
veulent assurer la sécurité de leur approvisionnement en gaz, la Russie
est non moins préoccupée de la sécurité de ses ventes, sur lesquelles
repose une – trop – grande part de son PIB.
Projets concurrents (Southstream à travers la mer Noire, Northstream
à travers la Baltique) et manœuvres diplomatiques en direction du
Kazakhstan et du Turkménistan avaient jusqu’à présent été ses seules
réponses. Le problème a changé de nature avec le déclenchement du
conflit avec la Géorgie qui place, on s’en aperçoit chaque jour un peu
plus, l’Europe dans une position inconfortable.
Dans un contexte de fortes tensions énergétiques à l’échelle
mondiale, cette crise nous permet de nous interroger sur la pertinence
des infrastructures physiques de transport. Depuis longtemps le marché
du pétrole n’en est plus dépendant, l’utilisation des oléoducs se
limitant à l’échelle régionale, et le parcours de longues distances
étant assuré par la voie maritime, s’inscrivant ainsi facilement dans
un marché mondial. Il n’en est pas de même pour le gaz, pour lequel des
infrastructures lourdes ont été réalisées depuis les années 80 de la
Russie vers l’Europe, transitant, du fait des bouleversements
politiques, par des pays de plus en plus nombreux, parfois instables et
souvent hostiles les uns envers les autres.
C’est l’existence même des gazoducs qui est souvent source de
conflits. Dans « la géopolitique des tubes », ce sont les rapports
entre Etats qui déterminent la géographie des réseaux. On fonctionne
ainsi dans des logiques bilatérales, ou trilatérales lorsque
s’intercale un pays de transit.
Avec le transport maritime, on privilégie au contraire la
coopération multilatérale – nécessaire à la sécurisation des voies
maritimes, en particulier des détroits – en y associant la souplesse du
marché. Ce mode de transport facilite le développement des transactions
sur les marchés « spots », limitant le recours aux contrats à long
terme, souvent négociés entre Etats
Un méthanier parti d’Algérie vers la France peut, sans difficulté, être
rerouté par son propriétaire vers les États-Unis, ou inversement, ce
qui arrive souvent. Développer les ports méthaniers, les usines de
liquéfaction et de déliquéfaction, et les flottes maritimes apparaît, à
l’expérience, comme un facteur de coopération et non de confrontation,
et réduit les risques de « guerres énergétiques ».
Dans le domaine du gaz, essentiel dans les prochaines années,
l’Europe doit donc s’équiper à marche forcée. Si l’on cherche à la fois
à limiter notre dépendance vis-à-vis de la Russie, et à rassurer la
première puissance gazière de la planète, c’est bien en créant les
conditions d’un marché simple et fluide dont elle sera, comme
fournisseur, au même titre que l’Europe, comme cliente, l’un des
principaux acteurs.
La France, comme le Japon, a une forte compétence technologique dans
le domaine du gaz naturel liquéfié (GNL), qui s’explique historiquement
par l’acheminement du gaz algérien.
Ayant placé la sécurité énergétique parmi les priorités de sa
présidence de l’Union Européenne, elle doit jouer ici un rôle pilote,
qui ne peut que conduire, à terme, à un partenariat énergétique solide
avec la Russie, qui repose sur le seul véritable facteur de paix : le
marché.
Les commentaires récents